« L'heure est venue d'aller nous recueillir devant les ultimes ennemis de la Foi, mon très cher Adaman... »
Adaman Mourall acquiesça d'un mouvement de tête et emboîta le pas à son illustre interlocuteur. Ils s'engagèrent dans la cage d'un escalier qui partait du conversoir des appartements pontificaux et s'enfonçait en tournant dans les entrailles sombres, humides et froides du palais épiscopal de Vénicia. Les protecteurs, huit pour le muffi et deux pour le jeune exarque, suivaient les deux hommes à distance. Le silence absorbait les frôlements des acabas blanches et les froissements des semelles de soie sur les marches.
Ces visites aux quatre corps congelés exposés dans une salle du sous-sol horripilaient Adaman Mourall, comme il exécrait d'ailleurs les « mon très cher Adaman » ou les « mon très cher fils de Marquinat » dont Barrofill le Vingt-cinquième croyait bon de parsemer ses phrases lorsqu'il lui adressait la parole. Elles se répétaient pourtant de manière quasi quotidienne depuis que le Pasteur Infaillible l'avait nommé au poste de premier secrétaire muffial. Une distinction dont Adaman Mourall, frais émoulu de l'E.S.P.S. (l'Ecole supérieure de propagande sacrée), se serait volontiers passé. Il était natif de Duptinat, comme le muffi, mais ses origines marquinatines l'avaient en l'occurrence desservi : au lieu de regagner son monde natal comme ses instructeurs lui en avaient fait la promesse, il se voyait contraint de rester sur Bella Syracusa pour une durée indéterminée et de vivre en permanence dans l'ombre de l'un des trois personnages les plus importants et les plus redoutés de l'Ang'empire.
La planète impériale possédait certes des charmes indéniables, un climat d'une douceur rarement prise en défaut, des paysages d'une beauté saisissante, un peuple d'un raffinement extrême, une capitale dont la splendeur était devenue légendaire, mais elle se parait pour Adaman Mourall des couleurs et des odeurs de la nostalgie. Cela faisait maintenant plus de quinze années standard qu'il s'était glissé dans un déremat de la C.I.L.T. pour gagner l'Ecole supérieure de propagande sacrée de Vénicia. Agé de onze ans au moment de son transfert, il n'aurait jamais cru que les six saisons, les astres nocturnes, les avenues bordées d'aughineux, les cieux délavés, les immeubles trapus et coiffés de toits sombres de son monde natal lui manqueraient à ce point.
A la fois factotum et confident du Pasteur Infaillible, il accompagnait le chef de l'Eglise kreuzienne dans chacun de ses déplacements et se trouvait par conséquent exposé aux innombrables attentats qui prenaient ce dernier pour cible. Dix jours plus tôt, dans le grand vestibule des appartements pontificaux, il avait échappé de justesse aux ondes destructrices d'une bombe à propagation lumineuse dont les souffles successifs avaient fauché une vingtaine de novices et de vicaires. Il en avait été quitte pour une blessure bénigne au bras et une immense frayeur il croyait également se souvenir qu'il avait laissé échapper quelques gouttes d'urine dans son colancor. j
La plupart des cinq mille cardinaux de l'Eglise désertaient l'amphithéâtre des conclaves pour se livrer à leurs occupations favorites dans l'ombre de leurs appartements véniciens : l'intrigue et le complot. Adaman Mourall se demandait par quel miracle le « Marquinatole » contraction de Marquinatin et de paritole, surnom donné par les Syracusains à Barrofill le Vingt-cinquième avait obtenu deux mille six cent deux voix au septième tour de scrutin. Il présumait que le résultat surprise de l'élection muffiale avait quelque chose à voir avec les hauts responsables du vicariat, dont la présence se faisait chaque jour plus envahissante, plus obsédante dans les couloirs du palais. Quelques excursions nauséeuses dans le Caveau des Châtrés, la pièce secrète où les vicaires entreposaient leurs offrandes personnelles, leurs organes sexuels conservés dans des bulles transparentes, l'avaient conforté dans cette hypothèse.
Il n'était d'ailleurs pas le seul à concevoir des soupçons sur la validité du scrutin : en moins de trois années, neuf procès en annulation avaient été intentés devant un tribunal d'exception constitué pour moitié de cardinaux et pour moitié de hauts vicaires.
Adaman Mourall avait longtemps hésité avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres, mais un soir que les deux complanétaires s'étaient retrouvés seuls dans le petit salon des appartements du muffi, il s'était lancé :
« Pourquoi les cardinaux s'acharnent-ils de la sorte contre votre personne, Votre Sainteté ? »
Barrofill le Vingt-cinquième, assis sur une banquette-air aussi immaculée que son colancor et sa chasuble, avait esquissé un sourire las. Des lueurs fugaces avaient embrasé ses yeux sombres, soulignés de cernes profonds. Le liséré froncé de son cache-tête accentuait l'aspect juvénile de ses traits. Il ne se poudrait pas le visage, contrairement aux cardinaux et aux courtisans, et ce manque d'afféterie élémentaire était devenu un objet de plaisanterie dans les conversoirs des palais impérial et épiscopal.
« Je ne suis pas syracusain et je ne maîtrise pas davantage que vous les subtilités du contrôle A.P.D., mon très cher Adaman.
— Veuillez me pardonner. Votre Sainteté, mais je ne saisis pas le rapport entre l'hostilité des cardinaux à votre encontre et les techniques d'auto-psykè-défense... »
Le muffi s'était levé, s'était approché de la baie vitrée qui dominait Romantigua, le cœur historique de Vénicia, et s'était abîmé un long moment dans la contemplation du miroir assombri du fleuve Tiber Augustus. Il lui semblait que les étoiles se faisaient chaque nuit moins nombreuses sur le velours indigo du ciel, traversé par les lueurs vives des premiers satellites nocturnes.
« Le rapport ? avait-il repris d'une voix morne. Même si vous passiez toute votre vie à tenter de maîtriser le contrôle des émotions, vous ne réussiriez jamais à avoir l'air d'un Syracusain. J'ai beau être le Pasteur Infaillible, le chef suprême de l'Eglise kreuzienne, je reste avant tout le Marquinatole, le paritole marquinatin, un intrus, et de la même manière que les défenses immunitaires se mobilisent pour neutraliser un virus, les Syracusains se démènent pour m'éliminer et installer un des leurs sur le trône pontifical.
— Pourquoi les vicaires vous apportent-ils leur soutien ? Ils usent chaque fois de leur droit de veto pour empêcher le tribunal d'exception d'annuler votre élection.
— N'oubliez jamais, mon très cher Adaman, qu'ils ont sacrifié leurs organes génitaux pour ignorer les tourments de la chair et se consacrer corps et âme à leur tâche. Ce sont donc des fanatiques, jaloux de leurs prérogatives et soucieux uniquement de l'expansion de notre très sainte Eglise. Ils estiment probablement qu'un paritole est moins perméable qu'un Syracusain aux influences courtisanes... »
Le muffi n'avait pas cru bon de divulguer les tractations secrètes qui l'avaient porté sur le trône kreuzien. D'une part l'esprit de son jeune complanétaire était l'objet d'incessantes perquisitions mentales et les Scaythes inquisiteurs ne devaient y trouver que ce qu'il voulait bien y mettre, d'autre part il avait besoin d'éclaircir les zones d'ombre, assimilables à des trous de mémoire ou à des programmes d'effacement mental, qui subsistaient sur la nature de ses liens avec le vicariat.
Toujours suivis des protecteurs protecteurs, inquisiteurs, effaceurs ou tueurs mentaux ? se demandait parfois Adaman Mourall , les deux Marquinatins s'engouffrèrent dans une galerie aux parois et à la voûte tapissées d'une épaisse couche d'optalumal, un alliage de métaux que ne pouvaient transpercer les déflagrations lumineuses ou ondulatoires. Ces blindages, en principe inviolables, faisaient partie de l'héritage légué à son successeur par le muffi Barrofill le Vingt-quatrième que la cour avait affublé post mortem des doux surnoms de « tyran de Vénicia », « monstre du palais » ou encore « diable komodien ».
Même si ces galeries chichement éclairées par quelques bulles flottantes lui inspiraient terreur et dégoût, Adaman Mourall s'y sentait paradoxalement en sécurité... à moins bien entendu que l'un de ses protecteurs fût un effaceur à la solde d'un cardinal, d'une grande famille syracusaine, d'une guilde professionnelle, voire de Menati Imperator en personne, une éventualité que l'exarque s'empressait de balayer en songeant aux morphopsychologues qui se relayaient en permanence devant les écrans-bulles de surveillance du palais. Capables de reconnaître les Scaythes, même dissimulés sous l'ample capuchon de leur acaba, à des centaines de détails qui échappaient à l'attention du commun des mortels, ils n'auraient jamais laissé entrer un protecteur sur lequel ils auraient eu le moindre doute.
Des relents de putréfaction paressaient dans l'air confiné. Les bulles-lumière, de plus en plus rares, ondulaient au gré d'imperceptibles souffles d'air et dispensaient un éclairage fuyant. Après avoir longé une dizaine de portes métalliques rongées par la rouille et fermées par des serrures magnétiques à code, ils s'immobilisèrent devant un sas rond, blindé, muni des systèmes de sécurité les plus perfectionnés. Le muffi extirpa un minuscule boîtier noir d'un repli de sa chasuble et ses doigts coururent sur les touches du clavier intégré. Au bout de quelques secondes, trois claquements successifs retentirent et le sas pivota silencieusement sur ses gonds. Les protecteurs, figés à une dizaine de pas des deux ecclésiastiques, ressemblaient à des spectres.
Adaman Mourall attendit que Barrofill le Vingt-cinquième se fût engagé dans la bouche arrondie et noire pour esquisser, de manière tout à fait puérile, une grimace de réprobation dans son dos.
« Venez, mon cher Adaman ! »
L'exarque se fendit d'un long soupir avant de pénétrer à son tour dans une petite pièce aux murs et au plafond recouverts d'optalumal. Une bulle sensitive s'emplit de lumière blanche et vint lentement survoler quatre sarcophages transparents posés sur des socles de conservation cryo.
Les contours des corps inertes se devinaient sous le léger voile de condensation qui embuait les parois de verre. Les embaumeurs cryo du palais épiscopal leur avaient retiré leurs vêtements pour éviter les réactions chimiques intempestives, l'indice de conservation des étoffes n'étant pas le même que celui des cellules humaines. Malgré la répulsion qui s'emparait de lui, Adaman Mourall ne pouvait empêcher son regard de se poser tour à tour sur ces deux femmes, cet homme et cette fillette congelés depuis plus de trois ans. Bien que radicalement différentes l'une de l'autre, les deux femmes étaient d'une grande beauté : l'une avait de longs cheveux pailletés d'or, une peau d'une blancheur neigeuse et la finesse de ses traits n'avait d'égale que la perfection de son corps (pour autant que pût en juger un homme d'Eglise tenu par ses vœux de chasteté).
« Aphykit Alexu, avait précisé le Pasteur Infaillible la première fois qu'il avait entraîné son secrétaire dans cette pièce. Une Syracusaine, une Vénicienne même. Surnommée Naïa Phykit, la mère universelle, par les partisans des guerriers du silence... Fille unique de Sri Alexu, l'un des derniers maîtres de la science inddique.
— La science inddique ?
— Une pratique assimilable à de la sorcellerie, une abomination. Que vous apprend-on à l'E.S.P.S. ? Selon toute probabilité, la fillette est le fruit de ses amours avec un dénommé Tixu Oty, un ressortissant d'Orange. Quant aux deux autres, nous ignorons leur nom, nous savons seulement qu'ils sont d'extraction jersalémine... »
A chaque visite, un ineffable voile de tristesse glissait sur le visage de Barrofill le Vingt-cinquième lorsque son regard se posait sur le couple originaire de Jer Salem. Adaman Mourall devinait que l'image de cet homme et de cette femme aux caractéristiques physiques identiques cheveux longs et lisses, arcades sourcilières proéminentes, nez busqué, peau brune tirant sur le bronze à cause des produits cryogénisants, toison pubienne large et fournie renvoyait le muffi à la terrible décision qu'il avait dû prendre lors des premiers mois de son ministère : l'anéantissement total de Jer Salem, le satellite de glace de la planète Franzia, et l'extermination de ses cent quarante mille habitants classés à l'Index comme grands hérétiques.
L'exarque évitait quant à lui de s'attarder sur le corps de la fillette, dont les embaumeurs cryo semblaient avoir pris un malin plaisir à exhiber la vulve. Ce fruit fendu et défendu ! le fascinait d'autant plus qu'il était vert, glabre, obscène dans son extrême nudité. Il se rendait compte avec horreur qu'il souffrait du même dérèglement que bon nombre de cardinaux. Il luttait de toutes ses forces contre cet exécrable penchant mais savait pertinemment qu'il finirait un jour par céder, qu'il ferait appel à l'un de ces réseaux clandestins de chair humaine pour se livrer aux pires abominations dans le secret de ses appartements.
Il chassa les noires pensées qui l'assaillaient, s'adossa à un mur et observa le muffi, statufié devant un caisson, les yeux larmoyants. Le comportement du Pasteur Infaillible le déconcertait. Qu'est-ce qui poussait Barrofill le Vingt-cinquième, l'homme qui régnait sur une pieuvre de plusieurs millions de tentacules et plusieurs centaines de milliards de sujets, à venir se recueillir au milieu de ces quatre corps cryogénisés ? Ce rituel absurde avait-il un rapport avec ses longues escapades solitaires dans d'autres galeries oubliées du palais ? Avec cette mystérieuse voix intérieure à laquelle il faisait parfois allusion ?
Bien qu'il le fréquentât de manière quasi quotidienne depuis près de deux années standard, Adaman Mourall rencontrait certaines difficultés à comprendre son complanétaire. C'était un être à deux visages, comme ces sculptures à double face des anciens temples jahokyoïstes des mondes du Levantin : en public il manifestait une détermination implacable, un fanatisme terrifiant, mais son armure de certitudes se disloquait sitôt qu'il se retirait dans ses appartements. Il semblait alors accablé par le poids de sa charge, tourmenté par les doutes, rongé par les remords. Les vicaires assiégeaient son bureau à toute heure du jour et de la nuit, harpies noires et caquetantes qui exigeaient sans cesse de nouvelles mesures de répression auxquelles il finissait presque toujours par consentir. Ainsi, sous la pression des eunuques de la Grande Bergerie, étaient venus s'ajouter au supplice de la croix-de-feu et aux offices généraux d'effacement les humiliations publiques, cérémonies au cours desquelles les pénitents se flagellaient ou se transperçaient l'abdomen de fines aiguilles d'optalium doré, les punitions conjugales ou parentales, les effacements radicaux et d'autres pratiques dont le dénominateur commun était la mutilation volontaire du corps et de l'esprit.
Le muffi tomba à genoux et écarta les bras. Les larmes coulaient en abondance sur ses joues hâves. Il présentait tous les symptômes de la béatitude mystique telle que la décrivait le grand Armonius d'Estrée dans son ouvrage holo sur les grâces et autres manifestations divines : yeux révulsés, traits baignés d'une lumière intérieure intense, bouche entrouverte comme s'il s'abreuvait à la source invisible des mondes célestes.
Ce n'était pas la première fois qu'Adaman Mourall était le témoin d'un transport extatique de Barrofill le Vingt-cinquième mais ce spectacle continuait d'éveiller en lui un sentiment de malaise. Le Berger suprême de l'Eglise éprouvait-il donc le besoin morbide de se repaître de la vue de ces quatre cryos pour accéder à la grâce ?
L'atmosphère sinistre de la pièce commençait à vriller les nerfs de l'exarque. Outre la répulsion que suscitaient en lui ces demi-cadavres, il ne ressentait rien d'autre qu'un désir malsain devant la fillette et une indifférence totale devant l'homme et les deux femmes. Il lui tardait à présent de remonter à la surface de l'océan de bruit et de fureur qui submergeait le palais épiscopal. Il devrait certes naviguer au milieu des attentats, des complots, des intrigues, des jalousies, des perfidies, mais il aurait au moins la sensation d'être vivant.
Après un moment qui parut interminable à son secrétaire, le muffi se départit enfin de son immobilité et se releva. Il ne tenta pas d'essuyer ou de dissimuler les larmes qui emperlaient ses cils.
« Ne perçois-tu donc rien, mon cher Adaman ? »
Sa voix se répercuta sur les murs de la pièce. Adaman Mourall se figea, feignit de tendre l'oreille puis secoua lentement la tête. Le tutoiement allait de pair avec la question, toujours la même, à laquelle il apportait toujours la même réponse.
« Aucune voix intérieure ne daigne m'adresser la parole, Votre Sainteté ! Je ne suis qu'un misérable serviteur du Kreuz, l'un de ces innombrables anonymes qui hantent votre demeure...
— Le Kreuz ne tient pas compte du rang mais des mérites.
— Je suppose en ce cas que piètres sont mes mérites puisqu'il ne me parle pas !
— Cessez donc de vous déconsidérer, mon cher Adaman, et apprenez à écouter avec votre âme. »
Agacé, le secrétaire préféra changer de sujet.
« Qu'est devenu Tixu Oty d'Orange, le père présumé de cette fillette ?
— Il a disparu. Certains affirment qu'il est mort, d'autres qu'il a perdu la raison et qu'il erre de monde en monde, d'autres encore qu'il s'est réfugié dans un univers parallèle pour préparer son avènement. Ses sectateurs l'appellent Sri Lumpa ou Sri Lumba, seigneur Lézard dans l'idiome d'un peuple aborigène de la planète Deux-Saisons.
— Il ne s'est jamais manifesté ? Ses partisans n'ont jamais cherché à délivrer les quatre cryos ?
— C'est ce qu'avait secrètement espéré le sénéchal Harkot en exposant, pendant plus d'une année standard, les sarcophages de Naïa Phykit, de sa fille et des deux Jersalémines dans une salle publique de l'ancien palais seigneurial. Mais, soit que les guerriers du silence n'existent pas, soit qu'ils ne possèdent pas les pouvoirs magiques que leur prêtent les croyances populaires, la nasse du sénéchal est restée vide et il a fini par accepter ma requête.
— Pourquoi donc avez-vous fait des pieds et des mains pour entrer en possession de ces sinistres gelés, Votre Sainteté ? »
Le muffi fit quelques pas entre les sarcophages transparents. Un subtil bourdonnement s'élevait des socles de conservation. Pendant quelques secondes il examina attentivement le visage d'Aphykit Alexu, comme s'il cherchait à percer son mystère.
« Les guerriers du silence sont des antékreuz, des ennemis de la Foi, du Verbe Vrai, et il nous revient par conséquent de les surveiller, répondit-il d'un ton neutre. En outre il nous paraissait urgent de les soustraire à la curiosité de la population, naturellement encline à suivre l'exemple hérétique. Je souhaitais enfin les avoir sous les yeux pour renforcer ma détermination et ne pas succomber à la tentation de la mansuétude... »
Adaman Mourall devina que son auguste interlocuteur ne lui disait pas la vérité, ou plus exactement qu'il s'en tenait à une version officielle destinée à rassurer son entourage. Il prit soudain conscience que le muffi, dont l'esprit semblait imperméable aux inquisitions mentales contrairement au sien, se servait de lui pour aiguiller ses ennemis sur de fausses pistes. Cette constatation abandonna un goût d'amertume dans sa gorge. Il avait cru, avec une naïveté confondante, que Barrofill le Vingt-cinquième lui avait accordé son amitié et son estime parce qu'ils étaient liés par des origines communes et que, loin du monde natal, les complanétaires font des compagnons recherchés, appréciés, il s'apercevait qu'il n'était qu'un modeste pion dans un jeu aux règles nébuleuses, incompréhensibles.
« Vous voici bien pâle, mon cher Adaman... » L'exarque déploya les maigres ressources de son contrôle A.P.D. pour masquer de son mieux le trouble qui s'était emparé de lui.
« L'odeur des produits cryo me donne la nausée... » bredouilla-t-il.
Il comprenait désormais qu'il serait un otage jusqu'à la fin de ses jours, l'otage du « Marquinatole », l'otage des cardinaux et des vicaires, l'otage de ses pulsions vénéneuses, l'otage des réseaux de chair humaine... Le petit Adaman Mourall, l'orphelin insouciant et frondeur de Duptinat, était définitivement mort.
Pendant que le chœur des novices entonnait le chant d'action de grâces, le muffi laissa errer son regard sur l'assistance. Il avait immobilisé sous le plafond sculpté de la nef la loge pontificale dont il manipulait lui-même les commandes.
La lumière de Rose Rubis, l'astre du premier jour, entrait à flots par les vitraux ogivaux et tombait en colonnes pourpres sur les dalles de marbre de l'allée centrale. De subtiles odeurs d'encens embaumaient l'air encore frais de la première aube.
Les vagues rouges et violettes des quelque mille cardinaux permanents de Vénicia submergeaient les rangs les plus proches de l'autel, autour duquel trois des leurs concélébraient l'office de prime matine. Venaient ensuite les travées courtisanes où se côtoyaient les grandes familles syracusaines selon un protocole complexe dont seuls deux ou trois érudits n'avaient pas encore égaré les clés. Les dernières places avaient été prises d'assaut par les représentants des guildes professionnelles et des familles mineures, lesquels avaient dû, pour avoir le privilège d'assister à l'office bihebdomadaire du grand temple, rétribuer grassement les exarques responsables des sièges et grâces éphémères. Enfin, les Scaythes avaient été regroupés près du mur du fond, entre les piliers de soutènement. Bien qu'ils fussent pour la plupart revêtus de l'acaba blanche de la protection, il se trouvait probablement parmi eux quelque effaceur ou quelque inquisiteur à la solde de grands courtisans, de cardinaux ou de délégués mal intentionnés.
Une deuxième loge volante, la seule avec la loge muffiale à être autorisée dans l'enceinte du bâtiment, abritait Menati Imperator, son épouse dame Annyt Passit-Païr, leurs enfants, deux garçons et une fille âgés tous les trois de deux ans et sept mois fruits d'une fécondation E.U.I.V. (ex-utero-in-vitro), ils avaient tous été conçus en même temps et les trois gouvernantes.
Le muffi distinguait, se découpant sur le fond de pénombre de la loge, le visage bouffi du cadet des Ang dont les yeux éteints étaient des puits insondables. Depuis le procès et la longue agonie de dame Sibrit, l'ancienne impératrice, Menati Imperator avait cessé toute relation directe avec le Pasteur Infaillible et se contentait de lui dépêcher des mandataires lorsque le pouvoir temporel n'avait pas d'autre choix que de composer avec le pouvoir spirituel. Barrofill le Vingt-cinquième le soupçonnait d'orchestrer certains attentats perpétrés dans les couloirs du palais épiscopal.
On disait également du maître de l'univers qu'il s'étourdissait dans d'interminables bacchanales, qu'il exigeait des servantes et des courtisanes qu'elles déambulent nues sous leur cape ou leur robe pour pouvoir les prendre à n'importe quel moment des jours et des nuits, qu'il abusait des mégastases, des drogues chimiques qui permettaient la multiplication des assauts, qu'il poussait son épouse dame Annyt dans les bras de qui voulait bien l'honorer, qu'il mangeait et buvait plus que de raison, que ses appartements étaient de véritables écuries, que ses hôtes et lui-même se vautraient dans leurs propres excréments et dans le sang de leurs victimes... Il avait même déclenché un scandale en tentant de violer Zanayat de Frondebert, une célèbre danseuse de sohorgo de l'Age médian, dans les coulisses du théâtre impérial.
Ces rumeurs étaient probablement dénuées de fondement mais il n'en restait pas moins vrai que Menati Imperator avait abdiqué de ses fonctions, donné les pleins pouvoirs au sénéchal Harkot et encouragé les grands courtisans à dilapider l'argent public. Le muffi supposait qu'il était victime d'un effacement sournois qui arrangeait bien les affaires des uns et des autres. Il semblait se vider lentement de sa substance vitale, se dépouiller de son être. En revanche il ne cessait de grossir comme s'il chargeait son corps de reconquérir l'espace abandonné par son esprit. La poudre blanche dont les maquilleurs impériaux lui enduisaient le visage se délitait dans les innombrables replis de son menton. Son ventre proéminent tendait la soie de son colancor bleu nuit et écartait les pans de sa cape de tissu-vie.
Recroquevillée sur la banquette de la loge, dame Annyt paraissait cadavérique à ses côtés. L'ancienne égérie du mouvement révolutionnaire et clandestin du Mashama avait reçu plusieurs implants d'effacement : un premier pour oublier Marti de Kervaleur, son amour de jeunesse, un second pour oublier son ancien fiancé Emmar Saint-Gai, un troisième pour oublier son passé sulfureux et quelques autres pour neutraliser sa pudeur et la contraindre à se plier aux extravagances sexuelles de son impérial époux. Le résultat de ces amnésies successives était qu'elle avait perdu toute notion d'individualité, qu'elle n'était plus qu'une ombre de chair ouverte aux désirs des autres mais incapable d'éprouver et d'exprimer la moindre envie personnelle. Les courtisans qui se vantaient de se servir d'elle pour assouvir leurs instincts et concrétiser leur rêve de puissance, car posséder la première dame de l'univers, c'était posséder une partie de cet univers la surnommaient la « porte ouverte du septième ciel » ou encore les « voies très pénétrables de l'Ang'empire ».
Le muffi ressentait de la compassion pour elle, cette même compassion qu'il avait éprouvée devant le visage altier ou le corps en croix de dame Sibrit. Pendant les dix jours qu'avait duré l'agonie de la fille de l'illustre Alloïst de Ma-Jahi, il s'était rendu au pied de la croix-de-feu dressée sur la place principale de Vénicia et avait contemplé, avec des larmes dans les yeux, les ravages produits par le feu puisé sur la peau de la suppliciée. Elle s'était lentement métamorphosée en une masse informe de chair craquelée, calcinée et purulente. Ses merveilleux yeux bleus, autrefois célèbres sur toutes les planètes de l'Ang'empire, avaient éclaté et le vitré s'était incrusté sur ses pommettes et ses joues.
Barrofill le Vingt-cinquième avait été envahi des mêmes sensations que devant la croix-de-feu de dame Armina Wortling, sur Marquinat, en un temps très lointain où il s'appelait encore Fracist Bogh. Il avait pris sur lui une partie de la souffrance de l'ex-impératrice et l'avait accompagnée jusqu'au seuil de la mort. Comme ces martyrs du kreuzianisme primitif dont le sacrifice avait permis l'expansion du Verbe Vrai, dame Sibrit lui avait transmis le feu de la liberté, de la vie, avant de s'éteindre. Il avait pris conscience qu'il avait accédé au trône pontifical pour délivrer les mondes de l'univers connu du joug pesant de l'Eglise. Il avait pensé aux millions de quarantains qu'il avait fait gazer dans le Terrarium Nord d'Anjor, aux milliers d'hérétiques qu'il avait condamnés au supplice de la croix-de-feu à combustion lente, aux milliards d'êtres humains qui vivaient dans la terreur des inquisitions, des effacements et des châtiments, et un immense désespoir s'était emparé de lui.
C'est alors qu'il avait perçu la voix, ce murmure à la fois clair et diffus, proche et lointain, qui provenait d'une zone oubliée de lui-même. Il aurait été incapable de la localiser de manière précise : tantôt il avait l'impression qu'elle surgissait d'un recoin de son esprit, tantôt qu'elle montait de son cœur, tantôt qu'elle résonnait dans son bas-ventre. Elle était intérieure, sans aucun doute, mais elle lui semblait parfois étrangère à lui-même, comme le souffle d'un être immatériel qui aurait pris possession de son corps. Qui lui parlait de la sorte ? Un démon, un archange ? Le Kreuz lui-même ? Avait-il reçu la grâce ? Etait-il envoûté par les forces diaboliques des mondes infernaux ?
Il s'était demandé s'il n'était pas la cible d'un effacement, mais cette hypothèse ne tenait pas dans la mesure où la principale caractéristique des effacements était justement que la victime ne décelait pas les modifications apportées à son cerveau.
La voix s'accompagnait d'un fourmillement agaçant au niveau du plexus solaire, une démangeaison qu'il ne parvenait pas à soulager et dont les médecins du palais se montraient incapables de déterminer la cause.
« Vous avez une santé de fer, Votre Sainteté », concluaient-ils invariablement avec un petit sourire d'excuse.
La voix lui avait suggéré de se rendre dans une pièce condamnée de la bibliothèque du palais épiscopal. Il avait résisté dans un premier temps, croyant qu'il souffrait d'un début de schizophrénie, puis au bout de cinq nuits d'insomnie, il avait fini par obtempérer, autant par curiosité que par lassitude. Il avait donc prié les exarques et les novices de ne le déranger sous aucun prétexte, s'était enfermé dans la bibliothèque, avait traversé plusieurs pièces en enfilade et avait découvert, dissimulée derrière un pan de mur coulissant, une porte arrondie et blindée. Là, il lui avait suffi de suivre les instructions de la voix pour composer le code d'ouverture sur le clavier de la serrure. La porte s'était ouverte dans un horrible grincement. Il s'était glissé dans une immense salle au plafond inégal et bas, où régnait une suffocante odeur de moisissures et de produits chimiques de conservation. Le rayon de sa torche avait balayé le sol de béton écaillé et révélé d'interminables étagères couvertes de livres-holo, de livres-films et d'antiques livres-papier.
La voix l'avait ensuite orienté dans un véritable labyrinthe de rayonnages et de couloirs, l'avait conduit près d'une armoire métallique et avait guidé sa main vers un petit livre-film inséré, sur la tablette centrale, entre deux ouvrages imposants de l'Age médian. En parfait état de conservation, cet opuscule relatait la retraite du Kreuz dans le grand désert d'Osgor, le satellite industriel de Syracusa.
Le muffi avait tourné les pages imputrescibles, serties de minuscules écrans où se déroulaient en boucle des séquences animées et sonorisées illustrant les textes. Il avait été bouleversé lorsque, pour la première fois de sa vie, il avait vu le visage et entendu la voix du Kreuz, un homme d'une quarantaine d'années au crâne rasé et aux yeux perçants. Torse nu, assis à même le sable, le fondateur de l'Eglise parlait du trésor le plus précieux de l'être humain, de l'âme, de cette fleur fragile qui se flétrissait si on l'enfermait dans les jugements et les faux-semblants. Il ponctuait chacune de ses phrases d'une exclamation sonore ou d'un rire tonitruant et brandissait de temps à autre le long bâton noueux qui gisait à ses pieds. Malgré l'exiguïté des écrans-pages et l'ancienneté de l'enregistrement holo, une force inouïe se dégageait de lui, une énergie guerrière que tempéraient à peine ses éclats de joie et de légèreté enfantines. Sans doute subjugué par son sujet, l'opérateur holo n'avait pas eu la volonté ou le réflexe de tourner son objectif vers l'auditoire, et bien que cette scène eût été enregistrée quelque cinquante siècles plus tôt, le muffi avait eu le sentiment que le Kreuz ressuscité s'était adressé à lui seul, avait surgi d'un lointain passé pour donner un nouveau sens à sa quête, cette quête qui, conditionnée par l'enseignement des écoles de propagande sacrée, s'était jusqu'alors traduite par une attitude fanatique, par une négation de son humanité.
La voix lui avait ensuite conseillé d'apprendre à protéger son esprit des inquisitions, des effacements et de la mort mentale. Il avait refermé le petit livre-film à regret, se promettant de revenir le consulter aussi souvent que possible. Puis, toujours obéissant aux injonctions de la voix, il s'était dirigé vers un rayonnage mural d'où il avait extrait un livre-papier âgé de plus de quatre-vingts siècles à en juger par la date qui figurait au bas de la deuxième page : 12 de cembrius année 49. Un ouvrage antérieur au Kreuz, rédigé en spatiel, la langue primitive des colons de l'espace, et dont la couverture de cuir épais, traité aux produits de conservation, ne mentionnait ni titre ni auteur.
Les quelques rudiments de spatiel inculqués à chaque membre de l'Eglise, une matière que les aspirants et novices tenaient pour particulièrement rébarbative, avaient été fort utiles au muffi. A la lumière faiblissante de la torche, il était parvenu, non sans difficulté, à déchiffrer le texte, une longue introduction à la symbolique et la fréquence vibratoire des graphèmes de l'Indda, présenté comme le langage des dieux oubliés et des premiers humains. Ainsi donc, la bibliothèque secrète du palais épiscopal abritait des fragments de la science inddique, classée à l'index des hérésies majeures depuis plus de quarante siècles. Certaines lettres ou certains groupes de lettres des pictogrammes plutôt que des lettres avaient des fonctions très précises de guérison ou de protection mentale. L'auteur anonyme expliquait qu'il suffisait de les tracer de manière indélébile sur la matière tendre et impressionnable de l'esprit pour qu'ils deviennent opérants.
Barrofill le Vingt-cinquième avait scrupuleusement suivi les différentes procédures préconisées par l'ouvrage : établir le silence intérieur, identifier les douze graphèmes protecteurs imprimés sur les dernières pages, les mémoriser, apprendre à les différencier et à les retracer mentalement. Il n'avait remarqué aucun changement spectaculaire les premiers temps, hormis une immense fatigue qu'il avait mise sur le compte du manque de sommeil, et il en avait conçu un sentiment de déception, de frustration.
Exténué, songeur, il était sorti de la bibliothèque après avoir soigneusement brouillé le code d'accès de la pièce secrète et s'était rendu directement dans ses appartements pour s'y reposer, priant l'armée pépiante de ses secrétaires d'annuler ou de reporter ses rendez-vous du jour de Rose Rubis.
C'était seulement lorsqu'il s'était allongé sur son lit à suspension-air qu'il avait commencé à ressentir les effets des graphèmes inddiques. Une chaleur intense lui avait embrasé le corps. La sensation l'avait envahi d'être tombé dans un brasier dévorant et l'image des croix-de-feu lui avait effleuré l'esprit. Il s'était tordu un long moment sur le lit sans parvenir à apaiser l'intolérable douleur qui se diffusait dans ses membres, dans son ventre, dans sa colonne vertébrale, dans sa tête. Il avait cru sa dernière heure arrivée et un chœur de hurlements s'était élevé à l'intérieur de lui, l'avait transpercé, l'avait dépecé, comme si tous les malheureux qu'il avait expédiés à la mort, les quarantains du Terrarium Nord d'Anjor, les officiants des religions traditionnelles d'Ut-Gen, les Jersalémines, dame Sibrit et tous les autres étaient revenus de l'au-delà pour le tourmenter. La rumeur avait enflé démesurément, accentuant la sensation de brûlure. Des larmes de sang avaient roulé sur ses joues, avaient semé des fleurs pourpres sur son colancor, sur le haut de sa chasuble, sur le couvre-lit de soie, sur le carrelage de marbre. Puis, alors qu'il était sur le point de sombrer définitivement dans le néant, le vacarme, la chaleur et la douleur s'étaient subitement estompés et une vibration subtile, fraîche comme une brise matinale, avait résonné dans le silence rétabli de son temple intérieur.
Dès lors il avait acquis la certitude, une certitude intuitive que n'ébranlaient pas les doutes qui venaient de temps à autre l'assaillir, que les douze symboles de l'Indda dressaient un infranchissable barrage face aux Scaythes inquisiteurs, effaceurs ou tueurs mentaux. Il s'était demandé si son prédécesseur, Barrofill le Vingt-quatrième, n'avait pas lui-même bénéficié de cette protection : nul n'était parvenu à percer les intentions véritables de l'ancien Pasteur Infaillible, pas même ses proches. L'ancien « tyran de Vénicia » avait-il également recouru à des techniques relevant de la sorcellerie pour arriver à ses fins ? Par quel sortilège mental avait-il poussé son successeur Fracist Bogh à choisir le nom de Barrofill, un mot qui symbolisait désormais la débauche et la perversion sur tous les mondes de l'Ang'empire ?
Le muffi pressentait que des liens occultes l'enchaînaient au vieillard retors qui avait régné avant lui sur l'Eglise. Une amnésie partielle qui ressemblait fort à un effacement le confortait dans cette hypothèse : il ne se souvenait plus de ce qu'il avait fait ou dit durant les quelques heures qui avaient précédé la mort de Barrofill le Vingt-quatrième. Il ne s'agissait pas de sommeil
— il se serait rappelé les gestes familiers accomplis au moment du coucher ou la désagréable sensation d'un réveil en sursaut, mais d'un véritable trou noir, un vide opaque dans lequel il lui était impossible de pénétrer.
Bien qu'à l'abri des perquisitions mentales, il avait gardé ses protecteurs pour ne pas éveiller les soupçons de ses détracteurs. Il avait décidé de s'adjoindre un secrétaire personnel (quitte à alimenter les rumeurs persistantes d'homosexualité qui couraient sur son compte), un esprit découvert dans lequel il pourrait glisser des informations destinées à égarer ses ennemis. Il avait jeté son dévolu sur Adaman Mourall dont il apercevait la frêle silhouette bleu et vert au milieu de la mer rouge et violette des cardinaux. Il regrettait d'utiliser son jeune complanétaire comme un leurre mental, car il appréciait sincèrement sa faconde et son humour, mais il avait estimé indispensable de nouer des liens affectifs avec son confident officieux pour donner de la crédibilité à son stratagème. Et, à en juger par le comportement aberrant des cardinaux et courtisans qu'il choisissait de combattre, il constatait que son initiative était couronnée de succès.
Pendant que ses adversaires se perdaient en conjectures, il effectuait des visites régulières à la salle secrète de la bibliothèque interdite, compulsait le livre-film du Kreuz, s'imprégnait de sa Parole, feuilletait d'autres ouvrages de moindre intérêt, apprenait les graphèmes inddiques de guérison. Sa voix intérieure ne se manifestait plus que de manière épisodique et ne lui apportait aucun élément nouveau, comme si elle se contentait dorénavant de ressasser ses consignes.
Parallèlement à ces activités qui occupaient une bonne partie de ses secondes nuits, il se rendait chaque jour en compagnie d'Adaman Mourall dans la salle du sous-sol où étaient exposés les quatre corps cryogénisés. Devant les sarcophages transparents, des transports incontrôlables le saisissaient et le déposaient au bord du ravissement. Incapable de fournir une explication cohérente à cette exaltation, il devinait toutefois qu'elle avait un rapport avec les heures passées dans la pièce secrète de la bibliothèque. Ces visages et ces corps inertes tissaient avec le Verbe du Kreuz, avec les graphèmes de l'Indda, une trame immatérielle qu'il ne parvenait pas encore à saisir.
Le sénéchal Harkot avait accepté de lui confier les quatre guerriers du silence mais il n'avait pas poussé la prodigalité jusqu'à lui remettre leurs codes cryo (la combinaison chimique de l'A.D.N. de chacun des congelés et des produits de cryogénisation). Les embaumeurs de l'Eglise les avaient dévêtus, lavés, leur avaient injecté un liquide colorant pour leur redonner une acceptable teinte carnée, les avaient disposés dans des sarcophages à basse température mais, privés des indispensables codes, ils demeuraient dans l'incapacité de les ramener à la vie.
Barrofill le Vingt-cinquième avait tenté de rentrer en possession des précieux échantillons, prélevés sur les corps quelques heures après leur cryogénisation. Le responsable de l'interlice impériale lui avait fait répondre que ces pièces relevaient de la sécurité intérieure de l'Ang'empire et qu'il n'était par conséquent pas possible de les confier au pouvoir ecclésiastique.
L'office de prime matine s'achevait.
Ce n'était pas un office d'effacement, l'un de ces rituels mensuels conçus par les vicaires où les Scaythes entraient à volonté dans l'esprit des fidèles pour y planter, selon la version officielle, les germes de la Vraie Foi, pour y semer, selon la rumeur, des programmes d'amour, de haine, d'incompétence ou de folie. On prétendait qu'une femme qui pénétrait dans le temple amoureuse d'un homme en ressortait éprise d'un autre, qu'un homme sain d'esprit se retrouvait subitement amputé d'une grande partie de son potentiel cérébral, qu'un autre était soudain saisi d'une irrépressible envie de salir l'honneur de son meilleur ami, qu'un autre enfin s'avançait tout sourires et tendu de désir vers une femme qu'il étranglait le jour suivant... On affirmait que les courtisans passaient une moitié de leur temps à corrompre les effaceurs et l'autre moitié à en subir les atteintes.
Le muffi présumait que les Scaythes en profitaient pour opérer d'autres changements dans les cerveaux qu'ils étaient chargés d'effacer, des changements subtils qui servaient un dessein connu d'eux seuls. Des changements auxquels il n'était pour l'instant pas en mesure de s'opposer. Il avait seulement entrebâillé une porte, il lui fallait en apprendre davantage dans la pièce secrète de la bibliothèque ou auprès des guerriers du silence endormis.
Le chant d'action de grâces s'éleva dans la nef. Alignés devant l'autel, les trois officiants accomplirent la bénédiction rituelle et les travées du fond commencèrent à se vider lentement. Les rayons de Rose Rubis teintaient de pourpre les volutes d'encens qui s'entrelaçaient autour des chapiteaux des piliers. Un large sas s'ouvrit sur le haut d'un mur et découvrit un passage dans lequel la loge impériale s'engouffra. De l'autre côté, sur une terrasse, attendaient dix personnairs frappés des sceaux impériaux et un bataillon de mercenaires de Pritiv reconvertis en gardes du corps.
Après que les cardinaux et les novices du chœur eurent à leur tour quitté l'enceinte du grand temple, le muffi programma sur la console de bord le parcours de sa propre loge. Elle survola les bancs vides, incurva sa trajectoire à l'extrémité de l'allée centrale et se glissa en douceur dans la bouche sombre qui s'était ouverte sur la droite du grand portail.
Cette nuit-là, lorsqu'il descendit dans la bibliothèque, le muffi ne put se départir de l'impression d'être suivi. Il avait pourtant congédié Adaman Mourall, ses autres secrétaires, ses serviteurs novices, sa garde vicariale rapprochée, ses cardinaux d'étiquette, ses protecteurs de pensées, s'était enfermé à double tour dans ses appartements, avait emprunté l'un des multiples passages secrets qui partaient de sa chambre et avait gagné sans encombre le vestibule de la bibliothèque. Il s'immobilisa au milieu de la grande salle déserte à cette heure, prêta l'oreille, braqua le faisceau laser de la torche sur les ténèbres environnantes mais ne décela aucune présence, aucun mouvement, aucun bruit suspect. Il haussa les épaules : il n'avait pas omis de brouiller les codes des serrures magnétiques des différentes portes qu'il avait franchies. Il n'avait commis aucune imprudence mais, à force de vivre dans la suspicion et la méfiance, il était peu à peu gangrené par la paranoïa.
Il se remit en chemin.
La voix retentit clairement en lui et lui proposa une direction différente de celle qu'il avait l'habitude de prendre. Le cœur battant, il suivit les nouvelles instructions, continua tout droit au lieu de bifurquer sur sa gauche, traversa de petites salles aux murs couverts de rayonnages et s'engagea dans une succession de galeries tortueuses et fortement déclives. Bien qu'elles formassent un inextricable dédale, il s'y orientait sans la moindre hésitation. Divers passages étaient partiellement obstrués par des éboulis de pierres et de terre et il devait parfois enjamber des flaques d'eau noire. Il se demanda si la voix ne s'était pas trompée ou s'il n'était pas le jouet d'une illusion télépathique persistante.
Il ne prêta aucune attention au craquement qu'il lui sembla percevoir derrière lui : les chatrats, les rongeurs souterrains de Syracusa, pullulaient dans les fondations des bâtiments et il n'y avait aucune raison que le palais épiscopal échappât à la règle.
Il parcourut environ un kilomètre dans un boyau qui s'étranglait au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans le ventre de Vénicia. Aux étais de pierre s'étaient substituées des poutres vermoulues qui, bien que traitées aux conservateurs chimiques, ployaient dangereusement sous le poids de la terre. Cette promenade nocturne avait quelque chose d'à la fois effrayant et absurde mais la voix continuait de le pousser dans cette direction. Une irrépressible angoisse montait en lui comme une nausée et il devait puiser dans d'insoupçonnables réserves de volonté pour ne pas rebrousser chemin. Le rayon mouvant de sa torche caressait les parois suintantes. débusquait des formes grises et furtives qui se faufilaient dans les fissures.
Il arriva enfin devant un lourd portail de bois, aussi rongé par l'humidité que les poutres mais équipé d'une serrure magnétique récente qui requérait l'utilisation d'une combinaison chiffrée. Comme la première fois qu'il s'était présenté devant la porte basse de la pièce secrète, la voix lui souffla une série de neuf chiffres qu'il saisit sur un clavier encastré dans une traverse métallique. Un panneau du portail coulissa sur un rail et s'ouvrit sur un caveau voûté, un vestige des fondations primitives du palais.
Il y entra, promena le faisceau de la torche sur les murs irréguliers et le sol de terre battue. Il découvrit, posés sur une pierre plate, un écran-bulle d'une hauteur de quarante centimètres et un petit tube noir, un messacode, qu'il introduisit dans l'orifice de lecture holographique.
L'écran-bulle s'emplit de lumière et une face ridée, toute en angles et en lames, encadrée d'un cache-tête blanc, émergea progressivement du microprojecteur interne. L'apparition de Barrofill le Vingt-quatrième, ce redoutable vieillard qui s'obstinait à manipuler les fils du pouvoir depuis un improbable au-delà, n'étonna pas outre mesure son successeur. Cette résurrection holographique lui fournirait peut-être des réponses aux questions qu'il se posait.
Les lèvres rainurées de Barrofill le Vingt-quatrième s'agitèrent et sa voix fêlée, aigrelette, reconnaissable entre toutes, jaillit du haut-parleur intégré dans le socle de l'écran-bulle.
« Je viens d'une éternité que j'espère apaisée, même si je n'y crois guère, pour m'adresser à mon successeur. Es-tu bien celui que j'attends, mon cher Fracist ? Dans l'affirmative, c'est que mon initiative post mortem a rencontré un succès certain. Dans le cas contraire, c'est que l'humanité tout entière est condamnée à se dissoudre dans le néant. Si la personne qui a enclenché la lecture de ce messacode n'est pas l'ancien cardinal Fracist Bogh, je la supplie au nom de tout ce qu'il y a de plus sacré en elle d'en suspendre immédiatement l'émission et d'aller quérir l'actuel muffi de l'Eglise du Kreuz, Barrofill le Vingt-cinquième, au cas bien entendu où celui-ci n'est pas déjà décédé. Je vais maintenant observer une minute de silence pour aider mon interlocuteur inconnu à prendre la bonne décision... »
L'ancien Pasteur Infaillible se tut et fixa l'objectif de l'enregistreur holo. Les braises vives qui luisaient dans ses yeux sombres étaient les seuls signes de vie sur son visage parcheminé.
« Eh bien, mon cher Fracist je n'ai retenu que cette probabilité, étant de nature foncièrement optimiste, les premiers mois de ton pontificat se déroulent-ils conformément à tes espérances ? Je prends la liberté de te tutoyer car bien qu'il n'y ait pas de précédent en la matière, je présume que c'est l'usage entre muffis ! Si tu es parvenu jusqu'ici, cela signifie que tu as pour le moment survécu aux attentats, aux procès et aux effacements. De mon trop long séjour sur les mondes de l'en-bas, je regrette seulement de ne pas avoir vu la tête ahurie des cardinaux et des courtisans lorsque ton élection a été proclamée ! Peut-être les ai-je contemplés depuis les mondes de l'en-haut mais je ne puis partager mes impressions avec toi... Venons-en au vif du sujet. Si j'ai toute l'éternité devant moi, ton temps est en revanche compté. Sache donc que la voix qui t'a guidé jusqu'en ces lieux obscurs n'est pas, hélas pour toi ! une quelconque manifestation de la divine volonté du Kreuz, mais une série d'impulsions subliminales émises par une plaque magnétique munie d'une autogreffe cutanée. Une plaque que j'ai moi-même insérée sous ton plexus solaire lors de notre dernier entretien. Aucun appareil médical, même le plus perfectionné, n'est en mesure de la détecter. Ces impulsions préenregistrées t'ont d'abord conduit dans une petite pièce de la bibliothèque interdite où, si tu n'as pas regimbé comme t'y incline parfois ton caractère ombrageux, tu as pris connaissance du Verbe originel du Kreuz différent, ô combien, de celui que nous imposons à nos ouailles, n'est-ce pas ? et où tu as appris à protéger ton esprit des inquisitions mentales par le biais d'un processus que j'ai expérimenté avant toi. Mesure ta chance, mon cher Fracist : à moi il a fallu plus de trente années standard pour découvrir le livre-film du Kreuz et le livre-papier des graphèmes inddiques. A partir de maintenant, la plaque cessera d'émettre ses impulsions subliminales, car elle t'a mené là où se sont interrompues mes propres recherches. Sache également que je ne suis pas parti de mort naturelle, comme on te l'a probablement fait croire, mais que j'ai été assassiné... Et le meurtrier n'est autre qu'un certain Fracist Bogh ! »
A ces mots, un sentiment de révolte étreignit le muffi et un incoercible tremblement agita ses membres.
« Je crois bien t'entendre protester de ton innocence depuis l'endroit où je réside actuellement... l'enfer sans doute ! Ce sont les châtrés, les vicaires, qui ont tout organisé et j'étais placé dans l'obligation de les laisser faire si je ne voulais pas éveiller leurs soupçons. Je me suis arrangé pour détourner leurs intrigues à notre profit. Ils possèdent des preuves de ta culpabilité. J'ignore lesquelles mais je suppose qu'ils ont bien préparé leur affaire et qu'ils pourraient obtenir sans difficulté ta destitution et ta condamnation. Ils ont introduit dans ton cerveau un implant d'oubli qui couvre les quelques heures de notre ultime entretien, de mon assassinat et de ton retour dans tes appartements. Je ne viens pas ici te condamner, Fracist, ni même t'accuser. Que ta conscience soit en paix : j'ai consenti à cette mort, j'avais hâte d'être délivré des chaînes de mes turpitudes. Mais le haut vicariat fait planer un danger constant au-dessus de ta tête. Trouve un moyen de mettre la main sur ces preuves et détruis-les. Anéantis tout le vicariat si nécessaire ! N'aie point de faiblesse : que valent ces misérables sans-couilles au regard des centaines de milliards d'êtres humains qui peuplent les planètes de l'univers connu ? Avant de nous quitter, définitivement cette fois, je voudrais te donner une dernière indication, t'ouvrir peut-être une nouvelle voie : dans le Dodeukalogue, le livre premier de la Fin des temps, le prophète Zahiel prédit que seuls les douze hérauts du temple de lumière, les douze cavaliers de la Révélation, pourront empêcher la nuit éternelle de tomber sur l'univers. Progresse dans cette direction, cher Fracist. Ce que je n'ai pu accomplir par manque de volonté, accomplis-le à ma place. Je ne sais pas où se trouve ce temple lumineux ni qui sont ces cavaliers, mais je gage que c'est le rôle du premier disciple du Kreuz que de localiser l'un et de rejoindre les autres. Je suis conscient je te l'ai dit la dernière fois que nous nous sommes vus, mais cela aussi tu l'as oublié que ce sursaut tardif ne m'absout en rien de mes errements passés. Garde de moi l'image d'un impie, d'un mécréant, d'un luxurieux, d'un misérable, sers-toi de moi comme d'un repoussoir, mais fais-moi de grâce une petite place dans un recoin de ton âme. J'aurai ainsi l'impression qu'une infime parcelle de mon être aura participé à l'avènement des jours nouveaux. Ce sera l'ultime souhait du vieillard qui erre d'ores et déjà dans une nuit sans étoile et sans fin. Adieu donc, Fracist Bogh, Barrofill le Vingt-cinquième, et que la main du Kreuz soit sur toi. »
L'enregistrement s'interrompit instantanément et l'obscurité absorba peu à peu la lumière décroissante de l'écran-bulle. Le rayon de la torche ricochait sur le flanc grenu de la pierre et frappait l'angle formé par la voûte et un mur. Un tourbillon de pensées se leva dans l'esprit du muffi qui demeura un long moment figé au milieu du caveau. Son prédécesseur l'avait chargé de préserver l'avenir de l'humanité et lui avait par la même occasion révélé son passé de meurtrier son amnésie partielle et l'arrogance des vicaires donnaient un relief tout particulier à cette affirmation mais l'intervention de l'ancien tyran de Vénicia soulevait pour l'instant davantage de questions qu'elle n'apportait de réponses.
Barrofill le Vingt-cinquième devait maintenant tenter de décrypter les énigmes du Dodeukalogue, un ouvrage volumineux qu'il n'avait fait que survoler lors de son séjour à l'E.S.P.S.
« Ce messacode était fort instructif, Votre Sainteté ! » fit une voix.
Saisi, le muffi se retourna. Son sang se glaça lorsque le faisceau de la torche débusqua la silhouette de Jaweo Mutewa, statufié dans l'embrasure du portail. L'ancien secrétaire du cardinal-gouverneur d'Ut-Gen était devenu un homme d'influence au sein du haut vicariat. Le blanc de ses yeux et de ses dents tranchait sur le noir de sa peau et de ses vêtements. Il semblait s'être vêtu des ténèbres environnantes. Ses lèvres brunes s'étiraient en un sourire cruel.
« Mes frères vicaires se posaient des questions à votre sujet, Votre Sainteté, reprit Jaweo Mutewa. Ils m'ont donc prié de vous suivre et j'ai dû, pour m'acquitter de cette tâche, réduire quelques-uns de vos serviteurs au silence...
— Adaman Mourall ?
— Non, non, rassurez-vous : votre très cher Adaman était sorti en ville et, de toute façon, il nous est plus utile en vie... pour le moment. En revanche, vous en savez désormais beaucoup trop pour que le haut vicariat persiste à soutenir votre pontificat.
— Ce qui signifie ?
— Que je me vois contraint de vous tuer, Votre Sainteté ! De la même manière que vous avez assassiné l'ignoble vieillard qui régnait avant vous sur notre très sainte Eglise. Vous avez trop vite renié vos alliés. Vous vous êtes servi de nous, puis vous vous êtes empressé de chercher un moyen d'échapper à l'inquisition mentale et donc à notre contrôle. Nous pensions, et moi le premier, que notre collaboration serait fructueuse. Nous nous sommes trompés. J'ai compris ce soir d'où vous venait ce goût soudain pour la dissimulation et l'intrigue... »
Tout en parlant, il avait sorti une arme d'une poche latérale de sa chasuble noire et en avait braqué le canon sur la poitrine du muffi qui, pétrifié, n'avait pas le réflexe d'éteindre la torche.
« Vos pairs et vous-même œuvrez avec l'Hyponéros pour le malheur de l'humanité, argumenta Barrofill le Vingt-cinquième d'une voix mal assurée.
— De grâce, Votre Sainteté, épargnez-moi vos prônes ! Vous parlez par la bouche d'un mort, d'un impie.
Il s'est tellement agité que ses batteries sont pratiquement vides...
— Eh bien, mon fils, sans votre intervention... commença le muffi d'une voix tremblante.
— Faut écraser tous ces châtrés comme des scorpions ! » l'interrompit Maltus Haktar.
Il pointa un index rageur sur le cadavre de Jaweo Mutewa, entre les épaules duquel l'onde à haute densité avait creusé un cratère de plus de quinze centimètres de diamètre.
« A cette différence près, veuillez me pardonner mon franc-parler, que ces satanés vicaires n'ont plus de dard... »
CHAPITRE III
La vue de son corps gelé me glace,
Le souvenir de son rire m'enchante,
Ses paupières dérobent l'éclat de ses yeux,
Ses cheveux dansent sous un soleil occulte,
Elle repose inerte, comme morte,
Elle veille sous l'angoissante blancheur,
Aucun mot ne sort de ses lèvres pâles,
Et pourtant elle me hèle à travers le temps.
Le Chant à l'absente provisoire, anonyme d'Ut-Gen, traduit par Messaodyne Jhû-Piet, poète syracusain de la première période post-Ang'empire